|
|
|
Le personnel
féminin des ateliers de contrôle (1930) |
DU
CHRONOMÉTRAGE À UNE STANDARDISATION
MODÉRÉE
Louis Renault
ne retient du taylorisme que le chronométrage, qu'Il
introduit en 1913. Non disposés
à l'accepter, les ouvriers qualifiés
résistent en déclenchant une grève,
puis en
faussant le chronométrage par leur comportement. La
généralisation de ce dernier
s'imposera néanmoins pendant le premier conflit mondial avec
le recours à une main-d'oeuvre
peu qualifiée. C'est en 1922 que la première
chaîne de montage apparaît à
Billancourt.
L'achèvement de l'usine de l'île Sequin en 1934
permettra de généraliser le travail
à la chaîne. Toutefois, la stratégie de
Louis Renault étant incompatible avec une
standardisation systématique, l'application des
méthodes américaines n'est que partielle.
« Les métallos » de l'automobile, qui
résistent au taylorisme, seront à la fois
les actifs promoteurs et les premiers
bénéficiaires des mouvements sociaux qui
accompagnent
le Front populaire en 1936.
L'introduction
partielle du
taylorisme en France
Entre les
deux guerres, le taylorisme commence à
pénétrer l'industrie française.
Construite sur l'île Sequin, la nouvelle usine Renault est le
symbole de cette
introduction.
Couvrant
En
créant
l'usine du quai de Javel qu'il destine à la production de
Vers la
production de masse
En France,
le taylorisme ne s'est réellement
développé qu'après 1941, sous
l'impulsion des
pouvoirs publics. Il permet dès lors une production de
masse. Avec la reprise
de la croissance, la pénurie de main-d'oeuvre fait
brutalement sentir. Si la
demande existe, la production est défaillante. Pour mettre
un terme à la
pénurie, il est impératif d'employer une
main-d'oeuvre peu qualifiée et
dépourvue de traditions ouvrières. L'industrie
fait donc appel à d'anciens
agriculteurs, à des étrangers et aux femmes. Le
taylorisme, qui a permis aux
Etats-Unis de faire face aux besoins de la guerre, est
systématiquement
introduit en France pour aider à la reconstruction et
accompagner la
croissance.
L'ESSOR DES OS
Sous
l'impulsion
de l'État, les entreprises françaises
généralisent le taylorisme à partir de
1945.
Elles inventent alors une nouvelle catégorie d'ouvriers peu
qualifiés dont elles
ont grand besoin, les OS. La diffusion des méthodes de
travail américaines dans
l'industrie automobile est facilitée par la «
monoculture » et par la mise en
place des machines-transferts. Avant la guerre, seule la
moitié des ouvriers de
Renault étaient assimilables à des OS. Ils sont
68 % dès 1953, 75 % en 1969.
Grâce
à la multiplication
des OS, l'industrie automobile française peut employer
massivement des ouvriers
d'origine rurale, puis étrangère. Toutefois, si
les machines-transferts accélèrent
le processus de déqualification, de nouveaux professionnels
apparaissent parallèlement
pour assurer la bonne marche des machines.
Mise au point
pendant |
|
LES TRENTE
GLORIEUSES ET LE PROGRÈS
SOCIAL
Permise par
la productivité, l'augmentation des salaires fait accepter
le désintérêt du
travail lié à sa standardisation, d'autant que
Renault multiplie les
innovations sociales. Dès 1955, apparaissent les retraites
complémentaires.
ainsi que la troisième semaine de congés
payés (puis la quatrième en 1962). A
partir de 1952, la mensualisation des salaires s'étend peu
à peu à l'ensemble
du personnel. Le pointage est supprimé progressivement dans
les usines. La
durée du travail diminue et, en
Le taylorisme
aujourd’hui
De nos
jours, l'organisation scientifique du travail est encore
d'actualité, et la
division entre conception et exécution demeure. Mais le
taylorisme, sous sa
forme initiale, apparaît tout à fait
dépassé.
On ne
saurait pour autant sous-estimer sa contribution à la
croissance économique et
à l'essor des Trente Glorieuses. Il a permis de pallier le
manque de
main-d'oeuvre qui a sévi en France jusqu'au milieu des
années soixante-dix. De
même, il a favorisé la rationalisation de
l'organisation des entreprises
françaises.
Voyons
d'abord quelques extraits de la cassette vidéo
intitulée "histoire d'une porte" :
- La
fabrication des éléments de la porte
(4'11'') (10,8 MO)
- La chaine
moderne (4'27'') (5
MO)
- La chaine
moderne (4'27'') (11,5 MO)
- Le montage des autres
éléments
(4'17'') (11 MO)
- La méthode
Kanban (2'52'') (7,3
MO)
Quelques documents complémentaires :
Juste
à temps et flux tendus
Le
développement d'une technique ou d'une forme d'organisation
n'est jamais fatal.
Il n'y a pas de déterminisme technologique''. Dans
l'Allemagne de l'après-guerre,
la modernisation de l'industrie automobile s'accompagne d'une
généralisation du
taylorisme différente. L'Allemagne
fédérale ne manque pas de main-d'oeuvre
industrielle qualifiée. Jusqu'à la construction
du mur de Berlin en 1961, elle
bénéficie même d'un flux continu de
travailleurs bien formés en provenance de
Taiichi Ohno,
créateur du système Toyota, la plus importante
révolution organisationnelle du siècle
après le taylorisme et le fordisme. |
Kiichiro Toyoda
(1894-1952), président
fondateur de Toyota Motor Company. |
Au Japon,
la réponse des constructeurs est diamétralement
opposée à celle observée en
France. Après avoir retrouvé les chemins de la
croissance, les constructeurs
nippons prennent le chemin de Detroit, capitale mondiale de l'industrie
automobile, pour y observer le mode de production. Les
ingénieurs de Toyota en
reviennent persuadés que le
« système de Detroit »
est inapplicable
au Japon. Le marché de l'automobile y est encore trop
étroit, et chaque groupe
industriel possède en son sein une production d'automobiles
qu'il n'entend pas
voir fusionner avec celle d'un autre groupe. Les usines manquent aussi
d'espace
pour loger les stocks et une production de masse. Comment, dans ces
conditions
devenir compétitif et dépasser la
productivité américaine ? C'est un
Ingénieur
de Toyota, Taiichi Ohno, qui trouve la solution dans la suppression des
stocks,
l'organisation de la sous-traitance et une fabrication tirée
par les commandes.
Mise progressivement en place au début des années
soixante dans la principale
usine de la marque, le système Toyota s'est progressivement
généralisé à
l'ensemble de l'industrie automobile.
À
l'équation Coûts + Bénéfices
= Prix de vente, qui raisonne à partir de la
demande, Ohno substitue l'équation Prix de vente -
Coûts = Bénéfices.
Le prix de
vente étant donné par la demande, il convient de
supprimer les gaspillages qui
gonflent les coûts, et en particulier le plus important
d'entre eux, celui des
stocks. Ne produire que ce qui est commandé' (les flux tendu
ne commander que
ce qui est nécessaire à la production, et ne le
faire parvenir à l'usine qu'au
moment de son utilisation (le juste à temps) : tels sont les
trois principes
qui permettent une réduction drastique des stocks. De plus,
ils facilitent la
production de petites séries. Le système de
sous-traitance d'une partie de la
production à de petites entreprises de type familial permet
également de
transférer une partie de la charge des stocks aux
sous-traitants.
La mise en
place du « toyotisme », autrement dit la
révolution du juste à temps et des
flux tendus, a été réalisée
au Japon grâce à un système peu
sophistiqué
d'étiquettes (kanban en japonais), que Taiichi Ohno a
emprunté aux supermarchés
américains. Exprimant les besoins, ces étiquettes
remontent de l'atelier situé
en aval au fur et à mesure de la production. Bien avant que
les conditions de
la production ne changent et que l'informatique bouleverse
l'organisation des
entreprises, les constructeurs japonais ont ainsi mis en place un
système
alternatif à celui de la production de masse de Detroit.
LES UET
APRÈS L'OST DANS LES ANNÉES
80
L'accroissement
de la productivité s'accompagne d'une chute Importante des
effectifs, que
Renault gère notamment par les préretraites et
les allocations de reconversion.
Elle va de pair avec la quasi-disparition des OS.
A partir
des années quatre-vingt-dix, l'organisation humaine de
Renault repose sur
l'Unité Elémentaire de Travail.
Constituée d'une vingtaine de personnes, MET
est une équipe responsable d'une activité
cohérente (processus ou tronçon de
chaîne). Rompant ainsi avec l'atomisation taylorienne, elle
représente une
avancée majeure : autonomie, enrichissement des
tâches, polyvalence des postes,
réduction de la ligne hiérarchique. L'UET est
également responsable de son péri
mètre en terme de qualité, coûts et
délais. Elle assure notamment des opérations
de maintenance et le contrôle des installations. Se
développent ainsi des
compétences transversales dont les constituants essentiels
sont la capacité de
travailler en équipe et de communiquer.
Les nouvelles
méthodes de production
et d'organisation
Tout autant
que l'enchaînement des techniques de base, ce sont
aujourd'hui les exigences du
marché qui expliquent le rôle et l'organisation
des usines de
carrosserie-montage. L'efficacité de ces
dernières se mesure à la rapidité de
leur réponse aux évolutions et à la
diversité des marchés.
Des robots
certes, mais pas toujours
Pour celui
qui visite un atelier, les robots apparaissent certainement comme les
éléments
les plus caractéristiques des nouvelles usines. Ceci est
vrai et faux à la
fois. L'apport principal des robots n'est pas de remplacer les hommes,
mais
d'accroître la flexibilité de la production. Le
rêve de l'usine automatique a
été abandonné. Outre qu'il permet
à l'homme d'être plus efficace, le robot
autorise la fabrication de plusieurs modèles de voitures. En
les reprogrammant,
non seulement on évite de changer toute l'installation comme
au temps des
machines-transferts, mais il est possible, au sein d'une même
usine, de
produire des modèles différents appartenant au
même segment.
Les robots
ont ainsi favorisé l'émergence de nouvelles
méthodes de production, qui ont
permis de passer de la production de masse à la production
diversifiée et «
agile ». Toutefois, pour atteindre cet objectif, on ne se
contente pas
d'introduire des robots. Une telle politique aurait pour
conséquences
d'accroître la complexité technique et rendrait
les fabrications difficilement
maîtrisables, en raison de l'accroissement des interactions
et des pannes.
Qu'il s'agisse de productivité ou de fiabilité,
tous les postes ne sont pas
automatisables à 100 %. Aujourd'hui, l'entreprise
n'automatise que ce qui doit
l'être et privilégie une meilleure organisation de
la production
(l'automatisation pas à pas), les partenariats permettant
à la marque de se
concentrer sur ce qu'elle fait le mieux. Le degré
d'automatisation varie donc
selon les marchés visés, les lieux d'implantation
des usines et les hommes qui
y travaillent. Ainsi, l'usine Toyota de Valenciennes aura moins
re[-ours aux
robots quo l'usine Renault de Douai, qui emploie des
opérateurs plus âqés.
VERS UN
NÉO-TAYLORISME ?
La nouvelle
organisation du travail ne supprime pas la pression qui pèse
sur l'opérateur.
Dans une conjoncture de diminution des effectifs, ce dernier doit
veiller à
conserver son efficience au plus haut niveau. La formation devient donc
un
élément constitutif du travail. Par ailleurs, le
système du juste à temps et
des flux tendus apparaît très sensible
à un blocage social, voire à une moindre
implication des opérateurs. L'entreprise doit
également gérer les relations
entre le personnel permanent, qui assure sa cohésion, et le
personnel
temporaire, qui lui apporte un surcroît de
flexibilité. Alors que l'opérateur
joue un rôle de plus en plus actif, sa situation se
précarise les contrats à
durée déterminée devenant un mode de
gestion ordinaire des ressources humaines.
Ces contraintes et ces contradictions amènent certains
auteurs à parler de néo-taylorisme.
L'intégration
des flux de production
et d'information
Moins
spectaculaire que les robots, l'intégration des flux de
production et
d'information est au centre de la réorganisation de la
production. L'outil
informatique, qui a intégré le système
kanban, est un élément majeur de cette
intégration. Il permet de réaliser le juste
à temps et les flux tendus, dont
l'objectif est de produire dans des délais très
courts tout en réduisant les
stocks à tous les stades de la fabrication. Cette
optimisation de la gestion
des stocks renforce la nécessité de confier
certaines opérations à des prestataires
extérieurs. L'entreprise peut ainsi diminuer ses
coûts fixes et se protéger des
aléas de la conjoncture. L'usine devient le point de
convergence d'une
fabrication de plus en plus organisée en réseaux.
La
qualité, dispositif central de
l'organisation
La
qualité
Intervient à tous les stades de la conception et de la
fabrication d'une
automobile. Réponse permanente aux exigences de la
clientèle, elle impose de
nouvelles manières de produire. A titre d'exemple, c'est en
faisant de la
qualité un élément relevant
directement de la responsabilité de l'opérateur,
et
non d'un contrôle en bout de ligne, qu'on améliore
le plus efficacement la
qualité du produit et la satisfaction du client. Par
ailleurs, cette qualité ne
vise pas uniquement le véhicule, mais la manière
de la produire. Ainsi, pour
préserver l'environnement, les techniques de peinture ont
été totalement
transformées.
La
qualité
passe aussi par de nouvelles relations entre les réseaux de
vente et la
production. Aujourd'hui, les automobilistes ne désirent plus
seulement une
voiture correspondant à leurs souhaits, ils demandent aussi
sa disponibilité
permanente. Avec l'automobile, on vend également un service,
celui de la
mobilité individuelle. Le réseau commercial joue
ainsi un rôle grandissant, en
liaison avec ceux qui conçoivent le véhicule et
le fabriquent.
LE COMPTE A
REBOURS
Pour
parvenir au délai de quinte jours entre la commande et la
livraison du
véhicule, soit dix jours ouvrés, la nouvelle
organisation des usines de
carrosserie-montage s'établit ainsi :
- Jour J : la
commande
Elle est
transmise à l'usine par un système informatique,
qui fournit au vendeur une
simulation du délai de livraison. La fabrication du
véhicule est programmée à J
+ 6.
Le soir
même, l'usine positionne les commandes de la
journée sur un planning ulula cinq
jours
- De J + 1
à J + 5 : les livraisons
des fournisseurs
Les
pièces
volumineuses sont regroupées sur le parc industriel et
celles de taille
intermédiaire le sont au centre de préparation
logistique. Quant à l'approvisionnement
en petites pièces (fixations et accessoires divers), dont ld
consommation est
banalisée, il se fait par renouvellement du petit stock de
bord de chaîne. Leur
gestion est assurée selon la technique du kanban : des
étiquettes ou des codes
à barre déclenchent les commandes.
- J + 6 : la
fabrication de la
voiture
La
première
pièce de ia voiture est lancée dans l'atelier de
tôlerie. La fabrication dure
entre un jour et un jour et demi, selon les modèles.
- J + 7 : la
sortie d'usine
Le
véhicule
rejoint le centre de livraison et d'expédition de l'usine,
où il sera pris en
charge par le transporteur. Ce dernier dispose d'environ trois jours
pour
livrer la voiture dans le réseau.
La
présence la plus forte des
robots : la soudure, dans l’atelier de
tôlerie
La
traçabilité du véhicule : Le
programme jour identification (PJI)
Dès
qu'un
véhicule est lancé en fabrication dans l'atelier
de tôlerie, il est attribué à
un client.
Complètement
défini par ses caractéristiques propres, il entre
dans le système de programmation
de l'usine, qui lui affecte un numéro d'identification.
C'est le PJI (Programme
Jour Identification), une sorte de carte d'identité du
véhicule indiquant la
motorisation, le nombre de portes, la couleur, les options diverses
telles que
toit ouvrant, etc. Dès lors, chaque porte ou chaque
sous-ensemble est associé à
la voiture, ce qui permet de suivre cette dernière sur
l'ensemble du flux à la
différence de l'emboutissage, qui est un « atelier
à pièces » fonctionnant
comme un fournisseur. Le point fort de ce système est de
permettre la
traçabilité des pièces et de la
voiture au fur et à mesure qu'avance le
processus de fabrication. A la sortie de l'atelier de
tôlerie, est édité le
ticket tôlerie (la carte d'aile) qui porte le PJI. La caisse
est alors associée
à une luge (support où est installé le
véhicule), identifiée par un numéro
porté sur une puce informatique. Dès lors, tout
au long du flux, le couple
caisse luge associe la puce, lue électroniquement, et la
carte d'aile. Cette
dernière est enlevée lorsqu'elle passe dans
l'atelier de peinture, où elle est
remplacée par une plaque métallique
gravée placée à l'emplacement d'un
phare.
À
l'atelier
de montage, c'est une fiche qui est collée sous le capot.
L'IMVP
(INTERNATIONAL MOTOR VEHICLE
PROGRAM) ET
Fruit d'un programme d'études lancé à la fin des années quatre-vingt par le MIT (Massachusetts Institute of Technology), l'indicateur IMVP mesure la productivité des usines. Largement reconnu pour sa pertinence, II se base sur le nombre d'heures consommées dans une usine, qu'il divise par le nombre de voitures prodni4es: Toutefois, I'IMVP pondère le résultat par des coefficients correcteurs, afin de tenir compte de paramètres tels que la complexité du véhicule construit. Début 2000, il s'établit à 15,2 heures, contre 27 heures en 1995, soit une augmentation de la productivité de 40 % en cinq ans. Cette performance situe Renault dans le peloton de tête des constructeurs occidentaux. Elle a notamment été rendue possible grâce à une meilleure utilisation des capacités de production, Instauration du rythme des 3x8 et amélioration de la gestion des horaires. Les constructeurs japonais conservant néanmoins une longueur d'avance, Renault va s'inspirer des pratiques de Nissan, dont l'usine anglaise de Sunderland s'impose comme un modèle de productivité en Europe.